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Réédition de la Lettre ouverte aux voyous | 2005-02-08

« Son secret tient en une phrase : ses voyous ne parlent pas comme des voyous. » ()

Albert Simonin, bien coté à l'argot

Lettre ouverte aux voyous, d'Albert Simonin, Éditions Cartouche, 125 p., 13 €.

On doit à Simonin d'avoir considérablement enrichi la langue française. Pendant les vingt ans que dura sa vie littéraire, cet écrivain du marché noir pratiqua le blanchiment d'argot : «cave, fafs, blazes, grisbi», ces mots sont sortis des arrière-salles de dancings pour les devantures de librairies. La diction Gabin, puis l'air du temps ont fait le reste.
Aujourd'hui, tout le monde a parlé, parle ou parlera le Simonin sans peine. Se croyant en verve, le journaliste littéraire écrira : «Mettre les adjas», pour s'en aller, et la «Maison Poulaga», pour la préfecture de police de Paris. Sait-il seulement la dette qu'il a contractée à l'endroit d'un affreux, perdu pour la société et la bien-pensance ?
En 1953, sous la couverture de la Série Noire, sortait le roman d'un inconnu, parrainé par Nimier, Touchez pas au grisbi ! Il était signé Albert Simonin et portait sur le «mitan», le monde des mauvais garçons. Et puisque à tout milieu il faut un mac, c'est Pierre Mac Orlan qui le préfaçait, célébrant ce qu'il nommait un «roman de cape et de mitraillette». Saint-Germain-des-Prés s'emballa : un enfant de la Chapelle (la porte, pas l'édifice) entrait par effraction dans le temple de la littérature, les honorables éditions Gallimard. Simonin reçut le prix des Deux-Magots. Imaginez l'effroi de ses camarades de cellule à l'énoncé d'une distinction au nom clinquant comme un cambriolage.
Suivront d'autres titres, désormais célèbres, Le Cave se rebiffe, puis Grisbi or not grisbi, dont s'empara le cinéma. Avec Audiard, Simonin forma un tandem, tels Boileau et Narcejac ou Viard et Zacharias, signant les dialogues de films d'anthologie, le Gentleman d'Epsom, Mélodie en sous-sol, la Métamorphose des cloportes. Il devint le scénariste fétiche du genre policier, la référence, l'étalon de Sèvres. Son secret tient en une phrase : ses voyous ne parlent pas comme des voyous. Leur vocabulaire, quoique argotique, est extrêmement châtié. Il est de Sganarelle pour la saveur et du cardinal de Retz pour les maximes. Rapportée à un cambriolage ou à une prostituée, leur éloquence - un brin solennelle - véhicule une puissance comique exceptionnelle.
La jactance façon Simonin atteint des sommets dans la Lettre ouverte à un voyou que rééditent les éditions Cartouche (sic !) ; qu'on en juge : «Balzac déclare sereinement dans sa préface de la Comédie humaine : "J'écris à la lueur de deux Vérités éternelles : la Religion, la Monarchie." Moins vergeot, je dois, mézigue, me satisfaire de deux lumignons plus modestes mais non moins obstinés à luire : le Vice et l'Arnaque.» La suite est à l'avenant, bavarde, brillante comme un canon de browning. A l'appui de sa démonstration, Simonin convoque Villon (grand poète, explique-t-il, mais petit calibre dans l'histoire de la délinquance), Arsène Lupin, compère Guilleri, Mandrin, jusqu'à Vidocq. Les idées générales n'excluant pas la petite touche intimiste, Simonin s'aventure sur le chapitre des relations du pégriot et de sa maman, résumant l'affaire en citant ce «dazibao» tatoué sur le torse d'un dur : « Mon coeur à ma mère, ma tête à Deibler.» Tendre voyou.

Etienne de Montety.

    Source : http://www.lefigaro.fr/
    Posté par gb